État des lieux de l'enseignement du FLE

Publié le par Armelle

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Je veux vous présenter de façon globale et concrète les conditions de travail et de recrutement des professeurs de FLE, et les difficultés rencontrées aussi bien en France qu’à l’étranger.

NB : je présenterai une situation générale ; de ce fait des cas particuliers qui vous concernent peut-être ne seront pas évoqués. Je recevrai avec plaisir d’autres témoignages afin de compléter cet état des lieux.

Où travailler ?

En France

1) Les écoles de langue

D’une façon générale la précarité est la principale difficulté, elle se traduit par :
enchaînement des CDD (jusqu’à 8 par an)
poursuite des CDD sur de longues années dans la même école (4,5 ans ou plus)
CDII = contrat à durée indéterminée intermittent : un nombre d’heures minimum d’enseignement est fixé et garanti par l’école pour l’année (ce nombre d’heures peut varier de 10h annuelles à 700h). On ne peut toucher d’allocations chômage lors des périodes non travaillées.

Les CDI ne concernent qu’une minorité des salariés.

Le second handicap est la rémunération qui est insuffisante : avec une moyenne de 11 à 15 euros brut/heure (on peut trouver plus, ou moins), on peut considérer, vue la faiblesse des taux horaire, que la préparation des cours n’est pas rémunérée.

Exemple de revenus : un salarié rémunéré 16,77 euros brut de l’heure (ce qui est au dessus de la moyenne et de la convention collective) gagne, pour 17h30 de cours par semaine (les pauses n’étant pas rémunérées) 1069,46 euros net par mois.

Les jours fériés, les congés maladie ne sont pas payés dans la plupart des cas. Il n’y a pas de ticket restaurant en général, la carte orange dans la région parisienne n’est pas systématiquement remboursée.

Il n’y a souvent aucune reconnaissance de l’ancienneté ou de l’expérience, ou d’une façon dérisoire lorsque cela se pratique.

Si l’on considère les volumes horaires qui sont proposés : comme vu précédemment, la rémunération est trop faible mais l’école ne vous donne pas forcément la possibilité de travailler plus afin d’arriver à un salaire décent (moyenne de 20h). Ainsi, les professeurs sont obligés d’aller travailler ailleurs. Un professeur de FLE peut avoir 3 ou 4 employeurs différents (ce qui signifie des transports supplémentaires et des horaires infernaux), ceci étant une situation courante.

Le professeur en contrat dans une école doit être disponible de 8h à 22h (+ samedi matin éventuellement) sans garantie d’avoir des cours, les horaires pouvant aussi varier d’un mois à l’autre. Il est ainsi difficile d’organiser des activités extra professionnelles régulières, et le fait de jongler entre différents employeurs se révèle d’autant plus délicat pour les emplois du temps.

On peut aussi mentionner les irrégularités pratiquées couramment :

travail au noir : dans de nombreuses écoles, seule une partie des cours est déclarée
les contrats de travail ou les fiches de paie ne sont pas toujours réglementaires (nous conseillons aux professeurs de rendre régulièrement visite à l’inspection du travail dont ils dépendent afin de pouvoir demander à leur employeur de rectifier les « erreurs » !)

Un point positif : les écoles de langue reconnaissent la maîtrise FLE, puisque ce diplôme est une des conditions du recrutement.

Conséquences de ces conditions de travail :
Les professeurs n’ont pas de mutuelle car ils n’en ont pas les moyens, ne prennent pas ou peu de vacances : soit par manque d’argent (reste la solution papa/maman), soit parce qu’ils attendent près du téléphone le prochain contrat qu’il ne faudrait pas rater.
Il est difficile d’envisager une grossesse : aurez-vous travaillé durant les 3 mois précédant l’arrêt de travail ? Retrouverez-vous votre travail précaire à la fin de votre congé ou aurez-vous été remplacé par un autre précaire ?
Il est difficile de louer un appartement, d’obtenir un prêt.
Les professeurs se trouvent dans une zone de droits partiels ; en tout cas ils n’ont pas droit aux avantages sociaux ordinaires dont bénéficie la moyenne des salariés français.

Les professeurs qui rentrent de l’étranger connaissent mal leurs droits, sont dispersés dans des écoles qui ont des statuts différents (SARL, association…). Il est donc difficile d’envisager des rencontres et actions communes.

Il serait nécessaire de créer un syndicat des professeurs de FLE afin que nous puissions nous informer, nous regrouper et revoir ensemble les conventions collectives qui ne sont pas avantageuses pour les salariés (par exemple les professeurs sont classés en tant que techniciens. ??).

2) Les centres de formation

Ces centres se distinguent des écoles de langue car ils reçoivent un public migrant pour des cours de français langue étrangère et d’alphabétisation.

A ce propos, il serait bon d’envisager dans le cursus de la maîtrise FLE une formation à l’alphabétisation et l’illettrisme puisque, de fait, ce sont les professeurs de FLE qui se retrouvent amenés à assurer ces cours dans la plupart des cas.

Globalement, les conditions de travail sont meilleures dans les centres de formation car ils respectent mieux la législation : un CDD évolue normalement en CDI, le salarié bénéficie de congés payés…

Mais la rémunération reste insuffisante.

3) Les organismes publics : universités, municipalités, centres pédagogiques, centres universitaires

La rémunération est plus élevée mais l’université ou le centre qui vous emploie exige que vous ayez un employeur principal (les municipalités n’ont pas cette exigence) ou que vous ayez le statut d’étudiant (ceci afin de ne pas payer la totalité des charges sociales). On propose donc du travail à ceux qui en ont déjà ! Un GRETA récemment recherchait un formateur ayant un employeur principal pour assurer 20h de cours hebdomadaires ; ce qui donne : 20h au GRETA + 20h chez votre employeur principal.

Vous ne signez pas de contrat de travail similaire à ce que vous connaissez dans le privé mais une « lettre d’engagement » (valeur légale ?), et parfois vous ne signez rien du tout, les fiches de paie faisant office de contrat.

Le salaire est rarement mensualisé (vous êtes payé 2 ou 3 fois par an).
Vous n’avez aucune assurance de poursuivre votre enseignement d’une année sur l’autre, ni de garantie sur le nombre d’heures de cours dont vous serez chargé. En septembre, lorsqu’on vous contacte pour avoir vos disponibilités horaires, vous découvrez que vous allez continuer vos cours (dont l’intitulé peut avoir changé sans que vous en ayez été averti. Ne parlons pas d’être consulté).

Quel est le statut des professeurs ? Les appellations varient : vacataire, chargé de cours, chargé d’enseignement. Les diplômes sont-ils reconnus ? Percevons-nous des primes de précarité, des congés payés ou L’Education Nationale n’est-elle pas astreinte à respecter ces droits élémentaires ? Le fait de travailler dans des structures publiques nous exclue systématiquement de tous les droits, ASSEDIC, FONGECIF…

Les professeurs de FLE embauchés par des organismes publics sont PRECAIRES A VIE ; placés sur un siège éjectable, ils ne disent rien, n’osent pas revendiquer, acceptent tout.


A l’étranger

1) Alliance française

Vous êtes recruté en contrat local et devez assurer, pour survivre, de 30 à 40 heures de cours par semaine. Ses salaires ne vous permettent pas de rentrer en France (pour des vacances bien sûr mais aussi pour un retour définitif : comment verser 3 mois de loyer pour s’installer dans un appartement ?).
Vous travaillez souvent au noir.
Les Alliances recrutent le premier Français qui passe.
Actuellement, on recrute essentiellement des stagiaires de la maîtrise FLE.





2) Institut français

Le travail au noir est aussi souvent la norme, ce qui implique, puisque nous sommes à l’étranger, de ne pas avoir de permis de séjour ni de permis de travail. Les professeurs se retrouvent ainsi dans l’illégalité la plus totale, ceci se pratiquant avec l’aval des Services Culturels français attachés à l’Ambassade de France.
Vous travaillez en contrat local en tant que professeur de FLE, par conséquent avec une rémunération locale. En revanche, les responsables de cours et directeurs d’Alliance Française qui peuvent être des détachés de l’Education Nationale et qui ne sont pas forcément compétents ni formés en FLE perçoivent une rémunération française.

3) CONTRAT AVEC LE MAE (Ministère des Affaires Etrangères)

Le salaire, français, est correct.

Il n’y a pas de transparence quant aux critères de recrutement - quelles sont les compétences requises, les diplômes exigés ?- pas plus que dans la définition et la publication des postes.

Il serait bon que les critères de recrutement et de rémunération soient clairement définis, que les postes soient publiés officiellement afin que chacun puisse y postuler, ceci pour les contrats relevant du MAE ou de responsable des cours dans un organisme dépendant de la France. Les compétences requises doivent être clairement spécifiées : être titulaire de la fonction publique peut être une condition du recrutement mais ne saurait être le seul critère requis, comme c’est le cas actuellement.

Les spécialistes du FLE embauchés à l’étranger par des services français se retrouvent dans la précarité : CDD renouvelable mais pas de continuité assurée entre les contrats en dépit des discours sur le réinvestissement des compétences.

4) Contrat local

Lorsque vous travaillez pour des universités ou écoles locales, vous pouvez aussi vous retrouver dans des conditions d’exploitation déplorables, mais dans des conditions normales, ceci peut être plus intéressant que de travailler pour des services français car l’école ou l’université qui vous emploie peut respecter la législation du pays : contrat de travail, cotisations pour la retraite, le chômage, permis de séjour… Dans ce cas là, vous bénéficiez d’un vrai statut.

Le salaire étant local, le retour en France reste problématique.

Conclusion
Il est difficile de se réinstaller en France lorsque l’on a travaillé à l’étranger. Il est bon de le savoir, de bien réfléchir afin de revenir au bon moment ou de choisir de s’installer définitivement à l’étranger. Ainsi apparaît une contradiction entre le métier de professeur de FLE qui amène à voyager à l’étranger et les conditions de travail qui font que l’on peut se retrouver « piégé » dans un autre pays sans possibilité de retour.
Par ailleurs, cette expérience effectuée à l’étranger n’est pas reconnue ou est reconnue de façon incomplète.


Comment trouver du travail ?

L’ANPE a du mal à identifier notre profession. Un professeur est membre de l’Education Nationale. Nous ne sommes donc pas professeurs. Formateurs ? Ceci recouvre un domaine très vaste avec des situations professionnelles très différentes. Quoi qu’il en soit, les services de l’ANPE ne sont pas très adaptés à notre cas de figure. De plus, étant donné que sur nos fiches de paie ne figurent (sauf exception) que les heures de face à face pédagogique à l’exclusion des heures de préparation de cours, l’ANPE ne nous reconnaît pas toujours un nombre d’heures de travail suffisant pour bénéficier d’allocations chômage.
Tous les professeurs doivent impérativement exiger de leur employeur qu’il fasse figurer sur les fiches de paie les heures de face à face et de préparation. (Cela ne coûte rien à l’employeur).


Les sites Internet : fle.fr fdlm.org anpe.fr

Je félicite le site fdlm.org d’avoir distinguer les offres d’emploi des propositions de stages. Cela dit, les offres de stages ne devraient figurer sur aucun des sites. En effet, ce sont les stagiaires qui doivent démarcher une entreprise afin de trouver un stage. Ces offres de stage ne devraient être diffusées que dans les Départements Universitaires qui assurent la formation à la maîtrise FLE, à charge pour les professeurs intervenant dans cette maîtrise de s’assurer de la validité des offres.
Ce qui se passe actuellement, et qui est très net devant l’explosion des offres de stages et la quasi inexistence des offres d’emploi, c’est que ces offres de stages sont des offres d’emploi déguisées, ou pourquoi embaucher un salarié lorsqu’un stagiaire fera le même travail, moins cher et sans aucune revendication, trop content d’acquérir sa première expérience professionnelle.

Comme relevé précédemment, l’ANPE reconnaît la catégorie très générale de la formation et son site, si vous êtes inscrit pour recevoir par mail les offres d’emploi, peut vous proposer selon les jours d’assurer des cours de flûte traversière, mathématiques ou de tout autre discipline.

Les candidatures spontanées et le bouche à oreille gardent toute leur efficacité.

Conclusion
Les professeurs de FLE se retrouvent confrontés à la concurrence des bénévoles, des stagiaires et des professeurs détachés de l’Education Nationale.



Conclusion générale

Pour quelle raison a-ton créé des cursus FLE (maîtrise, DEA, doctorat) s’ils ne sont pas reconnus ?
En effet il n’existe aucun concours spécifique au français langue étrangère et pourtant les postes existent : classes d’accueil en collège et école primaire, responsable de cours dans des instituts français, attaché linguistique pour le Ministère des Affaires Etrangères, lecteurs MAE, chargé de mission pour des processus d’évaluation (CIEP), cours de FLE dans les universités. Ces postes sont donc occupés par des titulaires de l’Education Nationale (compétents dans le meilleur des cas), les spécialistes du FLE non titulaires ayant le droit d’occuper certains de ces postes en tant que vacataires à vie. Ainsi il n’y a pas de reconnaissance professionnelle d’un diplôme, d’une expérience, de compétences. Le recrutement sur des postes à responsabilité se fait sur des critères d’appartenance à la fonction publique et non sur des compétences professionnelles.
Les pouvoirs publics, qui aiment à vanter le rayonnement culturel et linguistique de la France, nous ignorent alors que ce sont les professeurs qui assurent, au quotidien, cette présence française. Les intentions et propos de l’Etat sont en décalage flagrant avec les actes.

Puisque l’on parle d’un contrat d’accueil et d’insertion pour les étrangers souhaitant immigrer en France, quels moyens l’Etat se donne-t-il afin d’assurer ces formations dans les meilleures conditions ? Quel statut pour les professeurs de FLE ?

Un contrôle qualité de validation des centres de formation et écoles de langue doit être mis en place. Il ne suffit pas d’être Français pour être professeur de FLE. Les écoles doivent embaucher des personnels compétents et leur assurer des conditions de travail normales, la formation continue…

Je constate un ras le bol général. Malgré leur enthousiasme et leur passion pour le métier, les professeurs se découragent au bout de quelques années. Chaque année des professeurs abandonnent la profession car ils sont fatigués de la précarité et du mépris dont ils sont l’objet.
La seule réponse qui nous est apportée par les pouvoirs publics est la suivante : « passez un concours » : par exemple vous passez un CAPES d’anglais afin de travailler comme professeur de FLE.
En ce qui concerne le privé, les professeurs doivent s’unir et se mobiliser s’ils veulent améliorer leur situation.
La formation d’un étudiant est un coût pour la société, un coût gaspillé puisque les compétences existantes ne sont pas exploitées. Cette incohérence ne peut plus durer. Malheureusement, la situation de précarité que connaissent les professeurs de FLE n’est pas un cas particulier et semblent être la voie choisie actuellement par nos sociétés. C’est donc un véritable projet de société qu’il s’agit d’envisager au travers de notre situation.


Maylis Martial
(professeure/formatrice/vacataire/
chargée de cours en FLE/FLS/alphabétisation)
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S
Bonjour, <br /> merci pour cet article qui montre bien la situation déplorable des profs de FLE.  Je pense qu\\\'il doit renforcer l\\\'opinion désagréable que chaque enseignant de FLE est amené à se forger au cours de ses expériences. Il est grand temps en effet que l\\\'ensemble éclaté de la profession parvienne à parler d\\\'une voix et à se faire entendre et respecter. Par quels moyens ? Les propositions sont bienvenues. N\\\'étant pas spécialiste de ce type d\\\'action j\\\'envisagerais, pour l\\\'instant, la circulation d\\\'une pétition sur le modèle de cet article ou d\\\'un autre, avec des revendications claires. En espérant que la signature et le soutien de "personnalités reconnues de la francophonie officielle" puissent nous renforcer. Il faudrait en fait se réunir pour envisager et organiser toutes les actions possibles et efficaces. <br /> A bientôt. Julien Spella.
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